Le 21 avril
marque le centième anniversaire de la mort de Mark Twain, un des plus grandsécrivains de l'histoire américaine. Twain (1835-1910)
était un brillant satiriste, un comique de génie et un maître dans l'art de
capter le rythme et la sonorité du langage populaire américain du 19e siècle dans toutes les
nuances.
Il est
impossible dans le cadre d'un seul article relativement bref, d'examiner la vie
de l'homme et son oeuvre littéraire d'une manière qui puisse lui rendre
justice. C'est un sujet énorme, complexe et plein de contradictions. Durant sa
vie, l'écrivain a connu les grandes acclamations du succès, tout autant que la
faillite financière et des moments terriblement tragiques dans sa vie personnelle.
Un des plus grandsécrivainscomiques de tous les temps, un des rares
qui pouvait provoquer des éclats de rire chez le lecteur, « ce qui brûlait
en lui » suggérait l'éditeur de son journal, Bernard de Voto, « c'était la haine de la
cruauté et de l'injustice », aussi bien qu'un « sens profond du mal
humain, et une récurrence à s'auto incriminer. Tout comme Swift il s'est trouvé
à mépriser l'homme en aimant Tom, Dick et Harry si chaudement qu'il n'avait
plus de défense contre l'angoisse des relations humaines. »
La vie de
Twain s'étend sur une période remarquable. Il est né seulement 50 ans après la
fin de la guerre révolutionnaire américaine — alors que plusieurs des
vétérans de la lutte pour l'indépendance étaient encore vivants — au
Missouri, qui était encore un territoire frontalier. Twain a été témoin de
l'engagement des États-Unis dans l'acrimonieuse guerre civile, le développement
de sa puissance industrielle et son émergence explosive en tant que puissance
impérialiste à l'aube de la Première Guerre mondiale.
Constamment
actif, soit par nécessité ou de nature, Twain s’est rendu dans tous les
coins du pays et a connu tous les types sociaux très tôt dans sa vie. De Voto a
noté que l'auteur, dans ses années formatives, « a vu plus des États-Unis,
rencontré plus de types, de castes et de condition des Américains, observé les
Américains dans plus d'occupations, d'états et de tempéraments — en un
mot, a intimement partagé une plus grande variété des expériences caractéristiques
de ses concitoyens — que tout autre écrivain américain d’importance. »
Né Samuel
Langhorne Clemens dans le Missouri en 1835, Clemens a travaillé comme
imprimeur, journaliste, et pilote de bateau à vapeur sur le Mississippi avant
d'obtenir la reconnaissance populaire en tant qu'écrivain pour ses chroniques
de voyages, premièrement sur son voyage en Hawaii (alors connu sous le nom
d'îles Sandwich) en 1866 et ensuite pour l'Europe, l'Afrique du Nord et le
Moyen-Orient un an plus tard.
Ce dernier
voyage lui a fourni le matériel de son roman Le voyage des innocents en 1869.
Cette œuvre fit de Twain (car il avait déjà adopté son fameux nom de plume
en 1863 alors qu'il travaillait pour un journal au Nevada) un auteur reconnu
par la critique et lui assura le succès financier. Le livre se vendit à 85.000
exemplaires durant les 16 premiers mois de sa publication.
Un aphorisme
dans la conclusion de son texte illustre que Twain avait déjà développé son
sens de l'humour socialaigu : « Les
voyages sont fatals aux préjugés, à la bigoterie et à l'étroitesse d'esprit, et,
à ce compte, beaucoup de nos concitoyens en auraient gravement besoin. »
Deux
critiques commentent que le déplacement de Twain vers l'est à New York en 1866 «
signalait le début de sa remarquable synthèse des éléments de la littérature
qui suivie la Guerre civile américaine alors qu'il entreprit de lier la couleur locale et la
tradition de l'Ouest de ses premières œuvres avec l'esprit social,
intellectuel, commercial et industriel de la décennie qu'il a contribué à
désigner comme étant l'Age doré. » (Du puritanisme au postmodernisme; une
histoire de la littérature américaine, Richard Buland et Malcolm Bradbury)
Dans son
premier roman, L'Age doré (1873), Twain (et le coauteur Charles Dudley
Warner) jetèrent un regard sur la période de 1860-1868, une période qui, dans
leurs propres termes, « déracina des institutions vielles de plusieurs
siècles, changea les politiques d'un peuple, transforma la vie sociale de la
moitié de la population, et travailla si profondément sur le caractère national
que son influence ne pourra être mesurée que dans pas moins de deux ou trois
générations. » En résumé, une révolution avait pris place, qui eu une
influence subséquente énorme sur la vie artistique et intellectuelle.
Twain produit
ses plus grandes œuvres entre le début des années 1870 et 1890. Les
aventures de Tom Sawyer (1876) et Les aventures de Huckleberry Finn (1884)
se rangent clairement parmi celles-ci. Ces œuvres défient toutes
classifications faciles: elles offrent des scènes comiques qui provoquent des rires aux larmes,
entrecoupées de passages, par exemple, qui décrivent la brutalité de
l'esclavage qui existait dans le Sud d'avant-guerre de l'enfance de Clemens (et d’autres facettes dérangeantes de la vie
américaine de l'époque).
Brièvement
membre au sein de troupes confédérées dans la guerre civile, Twain accumula
sans aucun doute une profonde antipathie pour l'esclavage. « Une histoire
vraie » une remarquable nouvelle publiée en 1874, est racontée du point
de vue d'une femme noire, ancienne esclave. « Tante Rachel », devenue
servante, informé par son employeur complaisant qu'elle semble avoir vécu
soixante ans sans avoir « jamais eu de problèmes » se tourne contre
lui et raconte qu'en fait elle a été séparée de son mari et de ses enfants lors d'une vente aux enchères
d'esclaves, et ne retrouva un de ses fils que 22 ans plus tard. William Dean
Howells, nouvelliste et éditeur qui publia la nouvelle dans son Atlantic,
raconte à Twain qu'il croyait que son histoire « était extrêmement bonne
et touchante et comprenait le meilleur et le plus réaliste du parler noir. »
(Mr. Clemens et Mark Twain, Justin Kaplan)
Dans Huckleberry
Finn, l'une des plus grandes réalisations littéraires américaines du dix-neuvième siècle,
le jeune personnage principal (et narrateur) raconte ces aventures sur la
rivière Mississippi en compagnie de Jim, un esclave en fuite qui tente de
gagner un État non esclavagiste afin de pouvoir acheter la liberté de sa
famille.
Tout au long
du livre, Huck est aux prises
avec
un problème de conscience, ennuyé par le sentiment de « voler » la
propriété de quelqu'un en aidant Jim à fuir. À un moment donné, il décide de livrer l'esclave,
et rédige une note à l'attention de l'ancien propriétaire. La nouvelle continue:
« Je me sentis bien et propre, tout
lavé de mes péchés, pour la première fois de ma vie je me sentis ainsi, et je savais que
maintenant je pouvais prier. Mais je ne l'ai pas fait tout de suite, j'ai posé
le journal et je me suis mis à penser — penser à comment les choses
s'étaient bien passées, et comment je faillis tout perdre et finir en enfer. Et
je continuai de penser. Je me suis mis à penser à notre voyage sur la rivière;
je vois Jim devant moi tout le temps: le jour et la nuit, parfois au clair de
lune, parfois dans la tempête, et nous flottions ensemble, parlant, chantant et
riant. Mais d'une façon ou d'une autre, je n'arrivais pas à me monter contre
lui, au contraire. Je l'ai vu tenir le guet pour moi après avoir fait son tour
au lieu de m'appeler, pour ainsi me laisser dormir; j'ai vu combien content il
était lorsqu'il me voyait revenir du brouillard; et lorsque que je revenais encore vers lui du le
marais, là où il y a eu la querelle; et d'autres moments semblables; il m'appelait toujours cher, me
tenait compagnie et pensait toujours à ce qu'il pouvait faire pour moi, et
comment bon il a toujours été; et à la fin je fus frappé par la fois où je l'avais sauvé en disant aux hommes que nous
avions la variole dans notre embarcation, et il était si reconnaissant, et me
dit que j'étais le meilleur ami que le vieux Jim ait jamais au monde, et le
SEUL qu'il avait maintenant; et ensuite je me suis mis regarder autour de moi
et vis ce papier.
« J’étais
dans un lieu isolé. Je le pris et le tins
dans ma main. J'en tremblais, parce que j'avais à décider, pour toujours, entre
deux choses, et je le savais. J'étudiai la question une bonne minute, plus ou
moins retenant mon souffle, et ensuite je me suis dit:
« "D'accord,
j'irai donc en enfer" — et je le déchirai. »
Il est
inutile d'insister sur la profonde humanité et sympathie de ce passage.
Ernest
Hemingway affirma dans un commentaire fameux que « Toute la littérature
américaine moderne tire sa source d'un livre de Mark Twain appelé, Les aventures
de Huckleberry Finn. » Le critique et commentateur, H. L Mencken
suggéra que le roman était « l'une des grande chefs d'œuvres au
monde » et serait « lu encore et encore par les êtres humains de
tout âge, non parce
que c’était un devoir solennel, mais par
amour sincère. » Mencken, lui même parfois consumé par la misanthropie,
notait que Twain et son écriture se moquaient des gens, « mais rarement par malice. Il était capable
d'exprimer une véritable indignation, mais elle s'appliquait à la vie elle-même et non à ses victimes. »
Une autre
œuvre fascinante de cette même période est La vie sur le Mississippi
(1883), une principalement autobiographie, que Twain écrivit en parallèle avec Huckleberry
Finn. La vie sur le Mississippi lui a coûté énormément d'effort. « Je
ne me suis jamais autant battu dans ma vie pour écrire un livre écrit-il à
Howells en 1882. Mais il en résulte un livre merveilleusement écrit, un compte
rendu détaillé et émotivement dense de la vie de pilote de bateau à vapeur sur
la rivière Mississippi dans les années précédant immédiatement la guerre
civile.
Le passage
suivant aide peut-êtreà expliquer pourquoi Twain mit autant de profondeur
émotive dans le livre: « Dans mes chapitres précédents, j'ai essayé, en entrant dans la minutie
de la science du pilotage, d'amener le lecteur pas à pas à comprendre en quoi
consiste cette science; et au même moment j'ai tenté de lui montrer que c'est
aussi une science vraiment curieuse et merveilleuse, et qui vaut vraiment la
peine d'y porter attention. Il a semblé que j'aimais mon sujet, ce qui n'est
pas surprenant, puisque j'ai aimé la profession plus que toutes celles que j’ai
eues depuis, et j'en ai retiré beaucoup de fierté. La raison est simple: un
pilote, durant ces jours, était le seul être humain sur terre à être libre de
toutes contraintes et entièrement indépendant. Les rois ne sont que les
serviteurs soumis du parlement et du peuple; les parlements siègent dans
l'étreinte des chaînes forgées par leur électorat; l'éditeur d'un journal ne
peut être indépendant, mais doit travailler avec une main attachée derrière le
dos par le parti et le patron, et doit se contenter de produire la moitié ou
les deux tiers de ce qu'il pense; un homme d'Église n'est pas un homme libre pouvant dire toute la
vérité, indépendamment de l'opinion de ses paroissiens; les écrivains de
toutes sortes sont les serviteurs menottés du public. Nous écrivons franchement et sans
peur, mais ensuite nous « modifions » avant d'imprimer. En vérité,
chaque homme, femme et enfant à un maître, devant lequel, anxieusement il
s'incline servilement. »
Les aspects
les plus sobres de la vie américaine abordée dans
Huckleberry Finn sont abordées de manière encore plus prononcée dans les
œuvres moins connues, mais tout aussi remarquables, A Connecticut Yankee
in King Arthur’s Court (1889) et Pudd’nhead Wilson
(1894). La dernière œuvre incarne l'une rare protagoniste de sexe féminin
pleinement développée, Roxana une esclave à la peau pâle, qui cherche si
désespérément à empêcher la vente de ses enfants qu'elle les remplace dans le
berceau par les enfants de son maître.
Le précédent
roman, à propos d'un Américain du 19ième siècle, Hank Morgan, un résidant
d'Hartford, Connecticut (ou Twain s'était avait établit sa résidence), qui se
trouve être transporté dans le temps dans l'Angleterre médiévale à l'époque du
roi Arthur et ses chevaliers, avait initialement été conçu en 1884 comme une
œuvre légère.
Cependant,
Justin Kaplan, dans sa biographie de Twain, note, « Avec les années,
l'idée comique changea son cours et s'éloigna du burlesque pour se diriger vers
une conclusion apocalyptique dans laquelle l'Angleterre chevaleresque et la
technologie américaine de Hank Morgan - les deux étant des échecs, comme l'auteur
en était venu à les voir, se détruisent l'une l'autre. »
Twain a aussi
écrit The United States of Lyncherdom, un essai significatif publié à
titre posthume (en 1923), en outrage au lynchage en 1901 de trois hommes noirs
dans la ville de Pierce au Missouri. Dans cet essai, l'auteur s'attaque à la prétention selon
laquelle la population ayant participé au lynchage approuva et prit plaisir à cette torture
meurtrière. Les foules acquiesçaient plutôt sous la crainte de représailles de leurs pairs. Twain suggéra,
dans une plainte empreinte de douleur, que pour mettre fin à ces assassinats -
totalisant à cette époque plus
d'une centaine par année aux États-Unis - « Peut-être que le remède à ces
lynchages se résumerait à ceci : placer un brave homme dans chaque
communauté affectée pour encourager, supporter et jeter la lumière sur la
profonde désapprobation au lynchage cachée au plus profond de son cœur
— parce qu'elle s'y trouve, sans le moindre doute. »
Tout au long
de sa vie adulte, Twain a eu une attitude caustique envers la vie politique
américaine et ses praticiens. Après avoir une dose de l'esprit tranchant de
Twain, qui pouvait encore regarder de la même manière ces lèche-bottes de
l’entreprise, suffisants, voleurs collectivement connus sous le nom de
Congrès des États-Unis ? Par exemple, il a déjà noté, « Supposé que
vous soyez un idiot. Et supposé que vous soyez un membre du Congrès. Mais je me
répète ». Dans What is Man? L'auteur observe que « les puces
peuvent apprendre presque tout autant qu'un membre du Congrès. » Un de
mes préférés : « Il serait probablement possible de démontrer par des
faits et des chiffres qu'il n'y a pas de classe criminelle distinctement autochtone, à l'exception
du Congrès. »
Plusieurs
épisodes de la vie de Twain n'ont reçu qu'une attention minime dans les éloges
cette semaine. L'une d'elle est le rôle critique joué par Twain dans les
mémoires de Ulysses S. Grant. Grant avait été le général de la guerre civile
américaine ayant joué le principal rôle dans la victoire contre les
esclavagistes sudistes, et devint plus tard président des États-Unis. Les
mémoires, avec ces qualités politique et littéraires singulières, n'auraient
pas vu le jour si Twain ne les avait pas publiées lui-même. Et il le fit avec une générosité considérable
à l'égard de l'auteur. Grant termina ses mémoires cinq jours avant son décès en
1885. Twain alloua 75 pour cent des bénéfices aux héritiers, ce qui permit à la
veuve de Grant d'éviter la pauvreté dans laquelle Grant avait été laissé après
avoir été escroqué jusqu’au dernier sou.
Le séjour à
Vienne de septembre 1897 à mai 1899 est un autre épisode fascinant de la vie de
Twain. Il est impossible ici de rendre justice à cette période de la vie de
l'écrivain (qui fait l'objet d'un excellent livre, Notre célèbre invité:
Mark Twain a Vienne par Carl Dolmetsch). Mais il faut brièvement noter que,
de Vienne, Twain écrivit des articles pour la presse américaine dénonçant
l'antisémitisme du parti au pouvoir et manifesta une chaleureuse sympathie et
appréciation pour les juifs qui étaient soumis à une persécution endémique.
La vie de
Twain n'était pas sans tragédie personnelle, qui, est-il permis de croire, ont
contribuer à façonner sa littérature et ses sympathies personnelles. Trois des
membres de sa fratrie sont morts durant leur enfance. L'un de ceux qui survécurent, son frère Henry,
mourut dans un accident de bateau en 1858 à l'âge de 19 ans. Beaucoup plus
tard, en 1872, Twain perdit son fils d'un an, Langdon, qui mourut de diphtérie,
un événement pour lequel il se culpabilisa beaucoup. L'une de ses trois filles,
Susy Clemens, décéda en 1896 des suites d'une méningite. Sa femme, Olivia, plus
jeune de dix ans, que Twain qualifie de très dévouée, mourut en 1904. Sa plus
jeune fille, Jean, mourut à la veille de Noël en 1909. La mort de Jean fut
suivie sept mois plus tard par la mort de son proche ami, le baron du pétrole
Henry Rogers.
Rogers a aidé
Twain à s'extirper de sa ruine financière en 1893. Après sa déclaration de
faillite, Twain entreprit une tournée mondiale de lecture afin de rembourser
ses créanciers. Approchant de ses soixante-dix ans et sans aucune obligation légale, Twain mit des efforts
considérables afin de rembourser complètement ses créanciers.
S'il y a une
veine misanthropique dans l'humour de Twain, particulièrement vers la fin, cela
doit être vu dans le contexte de ses
difficultés personnelles et de sa désillusion croissante à l'égard de la
trajectoire politique et sociale des États-Unis.
Croyant
initialement dans la mission du gouvernement américain d'« étendre la
démocratie », Twain appuya la première intervention militaire américaine aux
Philippines durant la guerre contre l'Espagne. Cependant, en 1901, Twain
changea diamétralement ses vues et conclu que toute la campagne avait été menée
pour « conquérir, et non compenser ». Il poursuivit sur cette voie et
devint le vice-président de la Ligue américaine anti-impérialiste.
La plupart des médias qui
traitent de la vie et de la carrière de Twain, sont gênés d'aborder ses prises
de position de plus en plus radicales et critiques de la vie sociale et
politique américaine vers la fin de sa vie. Twain a été témoin de la
transformation de la jeune démocratie bourgeoise américaine en puissance
moderne. Révolté par l'impérialisme américain qui naissait, Twain en devint un franc critique. La presse
bourgeoise d'aujourd'hui ne souhaite pas se le faire rappeler, et ne souhaite
pas rappeler à quiconque cet élément critique de la vie de Twain.
Défenseur de
la première heure du mouvement syndical, Les chevaliers du Travail (The
Knights of Labor), et adversaire des opposants à l'immigration chinoise,
Twain tira des conclusions assez
radicales vers la fin de 1880. Kaplan écrivit « qu'il passait à travers
une sorte de crise d'effritement de sa foi à l'égard du grand siècle... « le
changement était en moi » écrit-il à Howells. « Lorsqu'il dit ceci en
août 1887, il venait tout juste de relire La Révolution française de
Carlyle et reconnaissait que « la vie et l'environnement » avait fait
de lui « un sans-culotte! » [radicaux de la classe ouvrière lors de
la Révolution française de 1789] - et pas un pâle sans-culotte sans caractère, mais un Marat — demandant la
mort des anciennes formes d'autorités : la monarchie, l’aristocratie,
l'Église catholique. »
Les médias
d'aujourd'hui sont également réticents en ce qui concerne les écrits anti-religieux de Twain.
Ayant
initialement une inclinaison vers une forme de déisme, Twain rejeta
essentiellement toute forme
d'organisation religieuse et soumit les
conceptions religieuses à une critique acerbe, particulièrement dans sa
dernière œuvre. Déjà dans ses débuts, dans des écrits tels que Innocents
Abroad et Tom Sawye, il adopte un point de vue assez humoristique
et irrévérencieux sur les questions théologiques. Mais ses dernières
œuvres, particulièrement Letters from Earth (écrit en 1909 mais
publié seulement en 1962 en raison des appréhensions de la fille), prennent un
virage franc et combatif. Dans ses Lettres, Satan décrit avec beaucoup
d'amusement l'autosatisfaction de l'humanité qui « pense être l'animal de
compagnie du Créateur » même si la réalité est que « lorsqu'il est à
son meilleur il ressemble à une sorte d'ange plaquée de nickel de mauvaise
qualité; à son pire il est indescriptible, inimaginable... »
Dieu n'est
pas épargné par la critique. « Voulez-vous examiner la morale et les
dispositions de la divinité et les approfondir un peu? Et allez-vous vous
rappeler que dans les écoles du dimanche les petits enfants sont encouragés à faire de lui... leur modèle et d'essayez
d'être autant que possible comme lui? » Twain énumère ensuite la liste des
injonctions bibliques adressées aux anciens Israélites d'exterminer les
habitants de la « terre promise. » Avec un tel modèle d'enseignement
moral, écrit Twain, ce n'est pas surprenant que la société perpétue les
violences conflictuelles humaines. C'est la révulsion de Twain à ces conflits,
particulièrement dans sa brutale forme
coloniale, qui le poussa à attaquer les conceptions religieuses qui les
défendaient ou les justifiaient.
Dans la
célèbre phrase de la fin de la conclusion de My Mark Twain, critique
littéraire et auteur, Lowell, Holmes, écrit: « Emerson, Longfellow,
Lowell, Holmes - je les connais tous et tous les autres de nos sages, poètes, voyants,
critiques, humoristes; ils se ressemblaient tous et
étaient comme les autres hommes de lettres; mais Clemens était unique, incomparable, le Lincoln de
notre littérature. » Nous pouvons certainement être en accord avec cette
déclaration. Pas moins vrai, bien que moins souvent cité, est la phrase
précédente, dans laquelle Howells décrit l'apparence de Twain lors de ses
funérailles: « Je regardais un moment ce visage que je connaissais si
bien; il
exprimait la patience, cette patience que j'avais vu si souvent sur ce
visage ; on y voyait aussi quelque chose comme une énigme, une grande et
silencieuse dignité; un consentement à ce qui vient des profondeurs d'une
nature dont le sérieux tragique se brisa dans le rire que l'imprudent pris
comme son tout. » Quelle justesse dans ses mots pour exprimer la
complexité de ce grand auteur.
Lorsque l'on
considère Mark Twain cent ans plus tard, on ne peut que se demander ce qu'il
aurait à dire sur l'Amérique de 2010. On peut imaginer quel aurait le choc et
la consternation de Twain de voir les tendance sociales et politiques malignes qu'il a observées dans leurs
développement initiaux se métastaser.
Que de cibles
trouverait-il! Les hypocrites et menteurs bien nantis de la Maison-Blanche et
du Congrès, les avaricieux compulsif de l'aristocratie corporative, les
éditeurs patriotiques, justifiant la réémergence du colonialisme, les
prédicateurs millionnaires et leur piété de circonstance, les bonzes souriants de la télévision, les
charlataneries des experts en « croissance personnelle » et tous les
autres détrousseurs de la population - sont tous mûrs pour - dans les mots de
Twain - un enclos chauffé en enfer » »! Où sont ses
héritiers aujourd'hui?